Le métier de signaleur routier%%: Un témoignage troublant

​​​​28 août 2023
​​​​​​​​​​​​​Durée : 8 min 25​​​ sec

​​Les chantiers sont nécessaires au maintien et à l’amélioration de notre réseau routier. Malgré les règles et les précautions prises par les autorités et les maîtres d’œuvre sur le terrain, certains usagers de la route font, parfois, la vie dure aux travailleurs. Écoutez le témoignage de Jean-Luc Jalbert, employé du Ministère dans la région de Chaudière-Appalaches.​

​​​​​​
Téléchargez le balado (8,0 Mo)​

Transcription

Bonjour à tous et bienvenue à ce balado. Un épisode consacré au métier de signaleur.

Petite anecdote, en avril dernier 2023, il y a une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux qui montrait un automobiliste qui pousse un signaleur routier avec son véhicule. Ça s'est passé près d'un chantier routier à Montréal. Et c'était pour tenter de forcer le passage sur une rue fermée pour des travaux. Malheureusement, ce genre de situation n'est pas rare, alors aujourd'hui, je suis en compagnie d'un collègue, d'un employé du ministère des Transports et de la Mobilité durable, Jean-Luc Jalbert est signaleur. C'est aussi un chef d'équipe et on le retrouve à la direction territoriale de Chaudière-Appalaches qui est son territoire du quotidien. Bonjour Jean-Luc.

Bonjour Gilles.

Alors on va s'entretenir ensemble pour en savoir davantage sur la réalité du terrain, la vie de signaleur, ce que c'est de travailler sur un chantier ou près d'un chantier et surtout de côtoyer des véhicules qui circulent autour de nous quand on essaie de faire respecter les règles à ces automobilistes-là, à ces usagers de la route qui passent là. On va faire un petit tour ensemble dans le passé. Employé pour le ministère des Transports et de la Mobilité durable depuis combien de temps, Jean-Luc?

Ça fait 6 ans.

Donc une connaissance du terrain depuis tout ce temps-là...

Oui, avec plein d'anecdotes.

Oh, je sens qu'on va en entendre. Jean-Luc, qu'est-ce qui t'a amené à faire ce métier-là?

Ben à mes débuts, j'ai eu l'opportunité de rentrer au Ministère comme surveillant routier. Environ un an plus tard, j'ai été transféré comme chef d'équipe en routes et structures. C'est à ce moment-là que j'ai suivi la formation et commencé à faire de la signalisation.

OK. Est-ce qu’il y a des choses que t'aimes particulièrement dans ce travail-là?

Oui, bien sûr. Travailler à l'extérieur, côtoyer des gens.

C'est quoi les plus gros défis dans ce métier-là, d'être sur un chantier, d’être près d'un chantier routier, ou de faire du signalement?

La première des choses, c'est ma sécurité et la sécurité des autres travailleurs. Et ensuite, bien, celle aussi des usagers, parce qu'ils n’ont pas conscience que des fois, ils se mettent eux-mêmes en danger.

J'ai parlé d'une vidéo que bien des gens ont vue, sur les médias sociaux, au printemps; est-ce que tu l'as vue, cette vidéo-là?

Oui, oui.

Qu'est-ce que ça a été, ta réaction?

Ben, c'est que malheureusement, il n’y a pas toujours des gens pour filmer. Parce que ça arrive fréquemment.

Est-ce que ça te disait quelque chose en termes de souvenirs? Est-ce que tu as déjà vécu une situation particulière de ce genre-là ou proche? Avec justement un usager de la route pendant ton travail?

Oui, bien sûr.

Et puis c’était quoi?

Sur un chantier sur la route 132, à Saint-Jean-Port-Joli, au niveau du théâtre la Roche à Veillon. Il y avait des voitures d’arrêtées dans les deux directions, puis on avait une pelle mécanique qui était en train de traverser le chantier pour changer de côté. C'est à ce moment-là qu'un des automobilistes s'est mis en colère, a décidé de dépasser les autres par la droite, à pleine vitesse, et il m'a littéralement foncé dessus. Ma collègue de travail a crié, mais j'ai senti mon galon à mesurer partir comme un projectile. Il m'avait happé. J'ai eu la rapidité d'esprit de prendre la plaque d'immatriculation de la personne, puis j'ai contacté la Sûreté du Québec et là ils ont dû faire une poursuite en voiture jusqu'à Cap-Saint-Ignace avant de l'intercepter.

Oh! Anecdote particulière! Jean-Luc, est-ce que c'est la seule fois où c'est arrivé?

Non. Ma seconde mauvaise expérience s'est déroulée sur la route 204, dans la municipalité de Saint-Damase, dans le comté de L’Islet. Il y avait un signaleur de chaque côté du chantier. Moi, je me situais au centre pour gérer les manœuvres de recul des camions et l'accès à la réserve en même temps. Un camion devait reculer à la réserve, donc j'ai avisé sur la radio que l'on devait bloquer la route. On me confirme donc que tout est beau des deux côtés. J'ai fait signe au camion de reculer, car tout était sécuritaire.

Au même moment, le signaleur du côté sud m'appelle sur la radio. Il me dit : un camion 53 pieds chargé de bois lui a foncé dessus et ne s'est pas arrêté. Il est en ma direction. Lorsque celui-ci arrive à moi, je lui fais signe d'arrêter, les mains en l'air. Le conducteur sort la moitié de son corps, il me crie : « Tasse-toi de d’là, car je vais te tuer. » Je m'approche, mais il ne m'écoute pas, je tente autre chose que l'on m'a appris, mais rien ne fonctionne. C'est à ce moment-là que j'ai commis une erreur; je lui ai tourné le dos. Il a redémarré, il m'a foncé dessus. Il m'a percuté. J'ai perdu pied et je suis tombé sur le ventre. Je me suis retrouvé sous le véhicule jusqu'aux épaules. Les autres camionneurs sur le chantier ont tous été témoins de la scène. Ils sont venus à ma rescousse. Ils ont réussi à arrêter le camion et à appeler la Sûreté du Québec. Puis le chauffeur a été mis en état d'arrestation.

Un mois plus tard, j'ai reçu une lettre du directeur des poursuites criminelles et pénales pour m'aviser que le dossier n'aura pas de suite, car le chauffeur a perdu son emploi et il n'a rien à perdre. C'est de cette façon que s'est terminée l'histoire.

Ça fait plusieurs années que je demande une loi, que tous les chantiers dans la province, sauf sur les autoroutes, aient une limite de vitesse maximale de 50 km/heure, un peu comme une zone scolaire qu'on sait que c'est 30 km/heure.

Jean-Luc, d'après toi, pourquoi les gens agissent comme ça, parfois? Heureusement, ça arrive pas si souvent, mais quand ça arrive, c'est assez, c'est assez impressionnant. Pourquoi il y a des gens qui agissent comme ça?

L’insouciance, je crois, énormément. C'est leur petite personne. Puis ils pensent pas qu'on est là pour faire un travail vraiment important. On n'est pas là pour le fun, on n'est pas là pour les retarder.

On comprend que les gens peuvent être pressés; on sait qu'il y a beaucoup de chantiers routiers, que les ralentissements, ça peut devenir un irritant. Mais en même temps, ce qui est paradoxal, ce qui est contradictoire, c'est que le monde veut un meilleur réseau routier. Les gens veulent de belles routes, les gens veulent des routes parfaites, des structures sécuritaires, bien entretenues, mais ça se fait pas tout seul, parce que les chantiers routiers, il faut comprendre que ce sont des maux nécessaires pour aller dans ce sens-là. Et vous autres, les signaleurs, donc, vous êtes là pour vous assurer que la circulation puisse malgré tout se faire, de manière à ce que tout le monde soit en sécurité, les travailleurs autant que les usagers de la route – tant que les consignes sont respectées, et ça a pas l'air, visiblement, à être le cas. Est-ce que, Jean-Luc, c'est une fonction qui exige beaucoup de présence d'esprit et de vigilance? Quand tu vas travailler, quand tu sors sur le terrain, j'imagine qu'il faut être alerte?

Il faut vraiment être alerte, oui. Puis, nous, bien, notre crainte, c'est, on a peur quand on va travailler, on sait pas si on va revenir. Puis on sait pas si on va souffrir pour le reste de nos jours parce que se faire frapper, bien, ça laisse des séquelles.

C'est sûr. En terminant, Jean-Luc, si tu avais un message, et je sens que t'en as un, un message à passer aux conducteurs, aux conductrices qui nous écoutent en ce moment, ce serait quoi?

Ça serait, la première chose, respectez la signalisation et les consignes des signaleurs. Soyez alerte et évitez toute distraction, car la configuration des voies en zone de travaux peut être modifiée en tout temps. Les largeurs, souvent, sont très réduites. Soyez courtois avec les signaleurs et les autres usagers de la route aussi; nous sommes tous des humains. Pour éviter les zones de travaux le plus possible, vous pouvez aussi consulter le 5-1-1.

Bien, il n’y a rien comme planifier, et puis, évidemment, quand on est pris, de contrôler ses pulsions. Ça sert à rien de se laisser aller. Faut prendre son mal en patience, comme on dit. Bien, Jean-Luc, je tiens à te remercier beaucoup d'avoir partagé ce moment-là avec moi, les auditeurs et les auditrices de la série de balados des transports. Merci beaucoup, Jean Luc.

Mais ça fait plaisir, Gilles, merci beaucoup.

Bonne suite, quand même. On a besoin de ton travail et de tes capacités avec la Direction territoriale de Chaudière-Appalaches, à Saint-Michel-de-Bellechasse. Salut.

Merci, au revoir.

Alors cet épisode est une production de la Direction générale des communications du ministère des Transports et de la Mobilité durable. Merci de votre écoute, merci de partager et à la prochaine.