15 décembre 2022Durée : 15 min 21 sec
Le projet de prolongement de l’autoroute 35 vers Saint-Armand et la frontière américaine, en cours de réalisation, comporte une expérience de reboisement vraiment exceptionnelle.
À terme, 24,5 hectares de forêt seront créés. Ce projet unique, en collaboration avec l’UQAM, pourrait changer la façon de voir le reboisement en général, et pas seulement lors des projets routiers. Le biologiste du Ministère Julien-Michel Blondin-Provost brosse le grand portrait de ce projet qui favorisera non seulement la végétation, mais aussi toute la biodiversité dans son ensemble. Rien de moins.
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Bonjour ici Gilles Payer. Bienvenue à ce balado qui ravira les fous de la végétation comme moi et qui réjouira et peut-être même étonnera les citoyens qui croient à tort que le ministère des Transports ne se préoccupe que de béton et d'asphalte.
Visant la réalisation d'une compensation environnementale accompagnée d'un objet de recherche dans le cadre du prolongement de l'autoroute 35 jusqu'à la frontière américaine, le Ministère va recréer environ 24,5 hectares de superficie boisée grâce à la plantation de 35 000 arbres. J'accueille pour l'occasion ma collègue conseillère en communication pour le projet, Karine Abdel, Bonjour Karine,
Bonjour Gilles.
Situons plus précisément l'endroit où se fera ce reboisement, vraiment hors de l'ordinaire.
En effet, le prolongement de l'autoroute 35 entre Saint-Jean-sur-Richelieu et la frontière américaine est un très gros projet qui se poursuit par étapes. Vu son ampleur, la construction de l'autoroute 35 a été divisée en 4 phases et les 2 premières phases, qui totalisaient l'ajout d'environ 25 km d'autoroute entre Saint-Jean sur-Richelieu et Saint-Sébastien, se sont terminées à la fin de 2014.
La phase 3 est en cours et elle se situe entre Saint-Sébastien et Saint-Armand. La phase 3 a débuté à la fin 2020 et devrait se terminer à la fin 2023. Il restera ensuite un tronçon de 4,5 km pour rejoindre la frontière américaine.
Dans le cadre de ce grand projet de prolongement de l'autoroute 35, le Ministère a mis sur pied un plan de compensation environnementale qui a pour objectif de compenser toutes les pertes environnementales occasionnées lors de la construction de l'autoroute.
Le reboisement dont on parle fait partie du plan de compensation et il se situe à Pike River, en Estrie. Ce reboisement fait également l'objet d'un projet de recherche de 10 années en collaboration avec l'Université du Québec à Montréal.
Pour en savoir davantage, nous recevons Julien-Michel Blondin-Provost, biologiste à la Direction du soutien technique sous la Direction générale de la planification, de la gestion des infrastructures, ici au ministère des Transports du Québec. Bienvenue Julien-Michel.
Bonjour.
Petite parenthèse, depuis combien de temps vous travaillez au Ministère et quel est votre cheminement globalement? Quelles sont les choses que vous aimez le plus dans vos fonctions?
Donc, moi je suis au Ministère depuis 10 ans, j'étais à la Direction de l'Ouest-de-la-Montérégie durant les 5 premières années et au soutien technique là depuis 5 ans, donc soutien technique des grands projets, principalement. Mes fonctions sont surtout sur l'autoroute 35. Ce que j'aime dans mes tâches en fait, c'est de travailler sur l'évaluation des impacts, donc décortiquer un peu les projets routiers pour évaluer l'ampleur de l'impact sur la faune, la flore, les différentes composantes du milieu récepteur, puis de participer, comme je suis biologiste, participer à différents inventaires à l'occasion.
Ben, je devine que vous manquez pas d’ouvrage.
Non, pas du tout. Surtout avec les différentes réformes législatives des dernières années. On a beaucoup de travail.
Julien-Michel, peux-tu nous dire un peu pourquoi on a ajouté ce projet au projet?
Quand on a un projet de cette envergure-là, on a différentes conditions qui vont être associées à la réalisation du projet, dont, dans certains cas, des compensations sur les impacts environnementaux.
Donc, la plupart du temps, on a des impacts environnementaux reliés à l'habitat du poisson, des choses comme ça. Mais on a également des compensations forestières, ce qui est une particularité dans le projet de l'autoroute 35 et dans certains autres projets; on a cumulé les superficies et on doit les compenser. Donc c'est d'où le projet dans le projet, on a un projet routier qui va occasionner des impacts et on va élaborer un projet de compensation qui va contrebalancer ces effets-là.
L'objectif final de ce nouvel écosystème. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus?
On cherche à compenser les pertes qu'il y a eu à travers l'empiétement de l'autoroute 35, donc il y a plusieurs petits boisés. On souhaite recréer une forêt, mais une forêt qui va être, qui va être une forêt mature avec des arbres d'essence noble principalement. On souhaite avoir une forêt qui va être résiliente, qui va être diversifiée en termes de biodiversité également. Quand je dis résiliente c'est face aux perturbations qu’il peut y avoir. Donc on parle de changements climatiques, on parle d'espèces exotiques envahissantes. Le choix des essences doit être en conséquence aussi des perturbations hydriques, donc des inondations.
Donc l'objectif final, c'est de recréer une forêt, une forêt qui va être naturelle. C'est vraiment à des fins de conservation, qui va être également propice à la faune. Nous, dans le projet de recherche qui est en fait avec l'UQAM, on a également, on va inventorier les micro-organismes du sol.
C’est de refaire un écosystème à peu près complet, moi, c'est ça que j’entends.
Exactement.
Julien-Michel, j'ai entendu dire qu'il allait y avoir des arbres, des très, très grands arbres qui allaient être plantés aussi au tout début, là, du projet de recherche. Est-ce que c'est vrai qu'il va avoir des arbres qui vont être aussi hauts que 20 m de hauteur?
Oui, en fait, puis on parle pas nécessairement de plantation ici, c'est qu'on parle de transplantation, puis c'est un des volets que je trouve particulièrement intéressants dans ce projet-là.
C'est que, comme on a un projet routier, et que le site de compensation est directement adjacent, on profite justement du fait qu'on on va devoir couper des arbres pour éviter de les couper. On va les déraciner et les transporter directement sur notre site de compensation.
Donc, déjà à ce jour, là, on a transplanté plusieurs arbres d'envergure qui vont jusqu'à 20 m, comme tu le mentionnes.
Donc, le ministère des Transports contribue en investissant auprès des partenaires de l'UQAM pour documenter plusieurs expériences qui vont servir pas juste au ministère des Transports, mais à plein de monde dans tout ce qui s'appelle le reboisement, de près ou de loin?
Oui, d'une certaine façon. Le ministère des Transports va financer en fait les parties du projet dont la compensation, par exemple, qui est de recréer la forêt.
On fournit également le territoire, le terrain de jeu pour les chercheurs, c'est à dire que c'est des propriétés qui appartiennent au ministère des Transports pour la compensation.
Mais par la suite, il y a différents volets de recherche qui vont nous intéresser au ministère des Transports, notamment, comment accélérer la restauration de la forêt. Au lieu de prendre peut-être 50 ans à avoir une forêt mature, bien, on va peut-être y arriver en 30 ans. Je dis des chiffres au hasard.
Mais il y a également des sujets de recherche qui ne sont pas nécessairement directement reliés avec la mission du ministère des Transports, mais qui vont bénéficier à l'ensemble du gouvernement.
Julien-Michel, on disait que l’UQAM était le partenaire scientifique du Ministère pour ce projet-là. On est actuellement en été 2022. Combien de temps va durer ce projet de recherche?
On a débuté avec l'UQAM en 2020 par différents travaux de caractérisation du milieu. Parce que avant de planter, évidemment, faut connaître notre territoire. 2021, on a déjà commencé la plantation d'arbres supplémentaires dans les mêmes parcelles. Là, les prochaines étapes, c'est de planter dans cette grande superficie-là, donc ça va venir en 2022, 2023.
Et l'UQAM a également été mandatée pour faire le suivi de ces plantations-là. Parce que si on parle d'expérimentation, on parle également de suivi, de voir, ok, bien, le nombre d'espèces que je vais avoir dans chacune de mes parcelles. Est-ce que, quand je plante de cette façon-là, donc, si je plante juste du frêne, est-ce que les frênes vont pousser plus vite que si je plante du frêne avec du peuplier et du chêne?
Comment ça va interagir, ces différents patrons de plantation-là, c'est un peu l'expérimentation, c'est le suivi. Et ce suivi-là, quand on parle de forêt, donc c'est une croissance qui est très lente, c'est des suivis de 10 ans. Nous, à partir du moment où on fait la plantation, donc les plantations, on va les faire en en 2 ans, principalement en 2022-2023, donc on va faire un suivi jusqu'en 2033.
Donc c'est un projet qui va se dérouler à peu près sur 12 ans, là, au final. Le souhait, c'est d'avoir créé un projet puis d'avoir des connaissances qui vont pouvoir être comparées à travers le temps. Donc, si cette forêt-là, on peut acquérir des données dans 50 ans, 100 ans, d'être capable de voir selon les patrons de plantation qui ont été mis en place au départ, ça va être une source de données très intéressante.
Donc on va pouvoir comparer, après 10 ans, c'est quoi le résultat. C'est des patrons de composition, qu'on appelle. Puis à travers ces patrons de composition-là, il y a aussi de la monoculture. Bon, on plante juste du peuplier, on plante juste du chêne ou juste de l'érable. Mais on a aussi de la polyculture, donc on plante de l'érable avec du chêne.
Ils vont tester différentes compositions comme ça. Mais ils vont tester aussi différentes densités. Donc, si je plante 625 tiges à l’hectare, 850 individus à l’hectare, puis 1200. L'équipe de recherche va tester la densité de la composition, mais des patrons temporaux également. Donc ça, ça rajoute une complexité encore une fois au projet, mais on va pouvoir comparer toutes les données qui sont récoltées et en tirer des conclusions.
Est-ce qu'il y a un processus qui est plus rapide que l'autre, oui ou non? Puis ça va permettre d'avoir des résultats qui vont nous guider puis qui vont nous permettre d'avoir des lignes directrices, si on veut, pour des projets de compensation, pour dire : t’es mieux de planter de cette façon-là, c'est ça que la science nous dit. C'est ça que les expériences passées nous disent.
Je crois que le reboisement principal, dont on parle actuellement, le projet de compensation inclut d'autres volets de compensation, à part le reboisement. Est-ce que tu peux préciser un petit peu ce qui s'en vient après?
Par le projet d'autoroute, on a eu également des effets sur les milieux humides, sur l'habitat du poisson, donc on a d'autres volets dans le projet. On va recréer un habitat du poisson, là, d'à peu près 4,4 hectares en bordure de la rivière aux Brochets. Donc on va faire de l'excavation de sol pour favoriser la fraie, notamment des espèces comme le brochet, le maskinongé, la perchaude.
On va avoir également des milieux où qu'on a porté une attention à l'habitat du poisson, mais on a également un petit souci pour l’herpétofaune parce que la rivière aux Brochets, c'est également une rivière qui abrite la tortue molle à épines et la tortue géographique, deux espèces à statut précaire, et également la tortue serpentine, la tortue peinte de l'Est. Donc, ces espèces-là ont toutes un statut précaire, mais la particularité de la tortue géographique puis de la tortue molle à épines, c'est qu'on les retrouve pas à beaucoup d'endroits au Québec.
Donc, on a ajouté des volets de conception spécifiques pour les tortues dans l'habitat du poisson qu'on va recréer. Dans les autres volets du projet, il y a aussi des milieux humides qui vont être créés en bordure de cours d’eau.
L'idée est de créer des plaines inondables qui vont filtrer les polluants agricoles, parce qu'on est dans un bassin versant agricole, pour ces petits ruisseaux-là, donc on va créer des plaines inondables, plus de type prairie riveraine, des herbacées, qui vont retenir l’eau, et qui vont la filtrer. Donc ça on a 2 plaines inondables qui vont être créées.
Et un autre volet du projet, c'est aussi, Comme on est sur des terres agricoles, on redonne une partie de ces terres agricoles-là à l'agriculture. Mais le sens de culture qui existait auparavant n'est plus propice, étant donné que l'autoroute passe à cet endroit-là. Et l'autoroute agit évidemment comme barrière, donc ça créé plein de petits champs, si on reprend le sens de culture à l'origine, donc nous on va reprendre toutes ces petits champs-là, puis on va en créer un gros champ qui va être beaucoup plus facile à cultiver, donc on va augmenter un petit peu la superficie cultivable. On va faciliter l'accès, et cetera. Donc ça aussi ça fait partie des volets du projet.
C'est vraiment un beau grand projet, je trouve. Et pour avoir visité le chantier justement cette semaine, je dois dire que j'ai vraiment remarqué que le pont qui sera fait au-dessus de la rivière aux Brochets est un pont où il y a pas de piles dans l'eau. Alors c'est vraiment un pont qui va passer carrément au-dessus de la rivière, ce qui en fait un assez long pont sans mesures de soutien qui sont dans l'eau. Ça va être impressionnant à voir, je pense.
Oui, puis c'est justement parce que l'écosystème de la rivière aux Brochets, c'est un écosystème fragile. Donc là, on parle encore une fois, c'est les impacts.
Puis nous, on fait un projet de compensation pour compenser ces impacts là, mais on a souhaité minimiser nos impacts justement par un pont qui est d'envergure, qui va éviter la rivière aux Brochets.
À cet endroit-là, il y a un sanctuaire de pêche pour le doré. Y a les espèces de tortues que je mentionnais, qui fréquentent la rivière aux Brochets et cetera, donc on a souhaité minimiser notre impact.
La particularité du projet, c'est d'avoir les volets de compensation au même endroit, ce qui crée une biodiversité générale du secteur.
Donc, on va favoriser le poisson, les tortues, on va recréer une forêt. Tous ces volets-là ensemble donnent une valeur écologique supplémentaire.
Donc, si je comprends bien, puisque les autres volets de compensation, en plus de la forêt, sont situés les uns à proximité des autres, faut comprendre que les animaux vont bénéficier des aménagements qui sont recréés.
On recrée des habitats qui sont spécifiques, donc on peut parler, là, de l'habitat du poisson, on peut parler des milieux humides.
Y a certaines espèces qui sont très spécifiques à des milieux comme ça. Donc, d'avoir toujours une diversité – c'est un mot qui revient souvent – mais d'avoir une diversité de milieux, d'avoir une diversité de grosseurs d'individus, une diversité de densité de plantations, une diversité de différentes choses, ça favorise différentes espèces. C'est la biodiversité qui en ressort gagnante.
Julien-Michel Blondin-Provost, biologiste au ministère des Transports, merci beaucoup de la visite aujourd'hui parmi nous.
Ça fait plaisir.
Karine Abdel, conseillère en communication au Ministère et proche du dossier du prolongement de la 35, merci, on va sûrement s'en reparler.
Tout à fait.
Là-dessus : À la prochaine.
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